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Un avenir sans travail des enfants.

par André Jacob

Travailleur social et sociologue, professeur retraité de l'École de travail social de l'Université du Québec à Montréal. Tout au long de ma carrière universitaire, j'ai mené une carrière artistique, tout particulièrement en arts visuels.

25 avril 2023

Mon article résumé publié dans le journal Le Devoir du 3 mai 2023.

Article dans le même sens: La pénurie n’est pas un sauf-conduit pour le travail des enfants. Le Devoir, 26 avril 2023.

Sur le même thème: un article du chroniqueur Normand Baillargeon dans Le Devoir, 29 avril 2023.

En 2002, « Un avenir sans travail des enfants », tel était le titre du troisième rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT) relatif aux principes et droits fondamentaux du travail des enfants.

            Le projet de loi du gouvernement du Québec sur le travail des enfants se situe dans un monde marqué par un libéralisme économique prédateur de ressources humaines et naturelles; soumis aux pressions de diverses catégories d’employeurs, la CAQ tente de justifier l’emploi des enfants avec un seul objectif en tête, combler la pénurie de main-d’œuvre à court terme. Sans une analyse multidimensionnelle de la problématique, toute la société risque de se laisser entraîner dans un labyrinthe aux sorties douteuses et aux conséquences dramatiques pour les enfants.

            Le travail des enfants ne constitue pas vraiment une solution durable à la croissance économique et à la pénurie de bras à long terme. Ni le gouvernement ni les principaux acteurs socioéconomiques (organisations patronales, syndicats, organismes de défense des droits, etc.) ne posent la question principale en amont : pourquoi ne pas envisager diverses formes de décroissance économique au lieu de toujours pousser la machine productiviste en avant en utilisant des enfants? À plus ou moins court terme, l’entrée de plus d’enfants au travail, même appuyée par une légalisation, risque, paradoxalement, d’ouvrir de nouveaux sentiers vers la pauvreté et la précarisation puisque personne ne peut prédire les effets délétères de cette pratique (décrochage scolaire, perte de possibilités d’une formation adéquate, etc.). On entend plutôt le refrain connu, même de la part de parents : apprendre aux enfants à travailler, c’est leur apprendre aussi à prendre des responsabilités, à gérer l’argent, etc. Sophismes que ces affirmations irréfléchies. Un enfant n’est pas un robot que l’on programme à devenir un bon exécutant dans une dynamique de reproduction d’un modèle d’organisation du travail. Perdre de vue la nature même de l’enfance risque de générer de nouveaux problèmes sociaux à plus ou moins long terme : désintérêt de l’école, perte d’expertise, précarité socioéconomique, etc.

            Les organisations syndicales et/ou de défense des droits des enfants tout autant que les partis d’opposition ne semblent pas tellement se préoccuper de la dérive vers une baisse des critères en bas de la ligne obligatoire de la scolarité; maintenant, on parle de permettre le travail à partir de 14 ans et même moins. C’est dire le peu de considération accordée à la scolarisation.

Dans le monde, des millions d’enfants sont soumis au travail, libre ou forcé (travail agricole, plantations, mines, usines, etc.). Évidemment, ceux nés dans la pauvreté sont les plus touchés, tout particulièrement les jeunes filles. Ce phénomène perdure depuis des siècles dans la dynamique de reproduction des classes sociales.

 Dès 1932, l’âge minimum à la scolarité fut établi comme critère (ou barème) fondamental à respecter dans les règles régissant le travail des enfants. La position de l’OIT est claire à ce sujet : « En 1973, la convention no 138 sur l’âge minimum reprend les principes énoncés dans les dix instruments adoptés avant la Seconde Guerre mondiale en indiquant que l’âge minimum d’admission à l’emploi ne devra pas être inférieur à l’âge auquel cesse la scolarité obligatoire. L’établissement de ce lien vise à permettre aux enfants d’exploiter au mieux leur potentiel, ce qui profitera aux enfants eux-mêmes, à leurs familles, aux collectivités et à la société dans son ensemble en optimisant la contribution qu’ils apporteront, une fois adultes, à la croissance économique et au progrès social. » Cette position correspond en tout point aux principes de l’article 32 de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations-Unies.

Une réflexion en profondeur s’impose. Actuellement, on ne met en exergue que des propositions d’aménagement de solutions pratiques. Le pragmatisme et les visées à court terme de la Coalition Avenir Québec (CAQ) risquent de conduire à des culs-de-sac; paradoxalement, la CAQ semble avoir même oublié la signification de son nom… À long terme, favoriser le travail des enfants peut s’avérer une fausse bonne idée qui risque de porter atteinte aux droits fondamentaux des enfants. Pour bien comprendre le phénomène du travail des enfants, il faut donc revenir à des paramètres fondamentaux fondés sur les droits.

            Dès 2002, il y a 20 ans donc, l’OIT voulait montrer comment « l’abolition du travail des enfants est devenue une cause mondiale du nouveau millénaire. » La conception du travail des enfants dans le monde évolue et les données, sur l’ampleur de ce problème persistant et complexe, commande une analyse multidimensionnelle approfondie. Il importe de connaître les tenants et les aboutissants de l’acceptation, voire de la promotion du travail des enfants, dans les diverses sphères du système de production. Il s’agit donc de dépasser l’opinion publique qui semble souscrire aux visées du monde patronal dans l’indifférence ou l’indolence; combler la pénurie de main-d’œuvre ne reste qu’une visée à court terme, pas une véritable solution.

            L’encadrement du travail des enfants doit se faire d’une façon extrêmement rigoureuse dans le respect intégral de leurs droits à l’éducation et à leur épanouissement physique et mental. Aucun État, y compris le Québec, n’est à l’abri des abus à leur égard.

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