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L’OTAN et la propagande contre l’ennemi russe.

par André Jacob

Travailleur social et sociologue, professeur retraité de l'École de travail social de l'Université du Québec à Montréal. Tout au long de ma carrière universitaire, j'ai mené une carrière artistique, tout particulièrement en arts visuels.

18 juin 2021

Photo: Palestine. Destruction d’une maison, jeudi 18 juin 2021. L’Humanité, 21-06-17, page 2.jpg

Article publié dans L’Aut’Journal (18 juin 2021).

Lors de la dernière rencontre de l’OTAN, le message des pays dits alliés suivants a été diffusé à grande échelle : « Tant que la Russie ne montre pas qu’elle respecte le droit international et qu’elle honore ses obligations et responsabilités internationales, il ne peut y avoir de retour à la normale… »  Une telle assertion soulève plusieurs questions:

1) pourquoi tout à coup l’OTAN revient-elle à mettre de l’avant la Russie comme figure de l’ennemi numéro 1?

2) Qui détermine en quoi consiste le respect du droit international selon la logique de l’OTAN piloté par les États-Unis?

3) À quelles obligations et responsabilités internationales réfère-t-on?  Encore là, les définitions sont définies selon les intérêts américains et ceux des pays qui suivent le pas donné par leur grand maître à penser.

Marc De Miramon, dans le journal l’Humanité du 16 juin 2021 résume bien la situation globale qui sous-tend la nouvelle dynamique que l’OTAN, les États-Unis en tête, tente de créer :

« Les priorités nationales des États-Unis, en termes de stratégie pour conserver leur statut d’hyperpuissance, ont officiellement évolué. C’est à l’aune de cet impératif qu’il s’agit d’analyser le volumineux communiqué conjoint du sommet de l’Otan tenu à Bruxelles lundi, lequel consacre la Chine comme un « défi systémique » pour l’ordre mondial et la sécurité d’une Alliance atlantique plus que jamais dominée par Washington. Dans le sillage de l’élection de Joe Biden, son administration avait déjà fait passer aux 30 pays membres le message que le « bras armé des démocraties » devait mettre sur un pied d’égalité les menaces chinoise et russe.

Fidèle à sa propagande, l’Otan se gargarise de constituer l’organisation de sécurité collective « la plus solide et la plus réussie de l’histoire », garantissant « la sécurité du territoire de nos pays et celle de leurs citoyens, au nombre d’un milliard, ainsi que notre liberté et les valeurs que nous partageons, parmi lesquelles la liberté individuelle, les droits de la personne, la démocratie et l’État de droit »  (…)

 La stratégie des Américains demeure toujours la même », décrypte un attaché militaire en poste à Bruxelles : « La menace russe est incontournable pour vendre du matériel militaire dans les pays de l’est de l’Europe. Couplée au péril représenté par la Chine, elle permet à Washington de justifier un budget militaire complètement boursouflé », lequel dépasse les 700 milliards de dollars, soit le triple de celui évalué de la désormais première menace mondiale « systémique ».

En réalité, l’enjeu principal est la prédominance du rôle de gendarme du monde que s’attribuent les États-Unis. America is back, proclame Joe Biden, militariste, ce dernier n’étant pas la colombe que l’image médiatique laisse voir, au contraire, il a toujours été favorable aux guerres américaines, notamment en Irak. La Russie traîne ses sabots sur plusieurs sentiers géopolitiques, ce qui agace le gouvernement américain même si ce n’est en rien comparable au grand jeu d’échecs américain fort de la plus puissante force armée répartie dans plus de 800 bases militaires dans le monde. Aucun pays n’a une présence militaire aussi envahissante sur la planète.

Les autres enjeux s’énoncent assez clairement :

  1. En voulant créer l’image de la Russie comme ennemi, la propagande vise à susciter la méfiance et la peur de la Russie dans l’opinion publique. Il est plus facile de cibler la Russie que la Chine… Biden a commencé par personnaliser l’ennemi, une tactique bien rodée en déclarant Poutine tueur, homme sans âme menaçant, antidémocrate et non respectueux des droits de la personne. Il faut, d’une manière machiavélique, que l’ennemi apparaisse dans l’opinion publique comme un monstre diabolique sans coeur et menaçant. Voilà pour l’image du méchant. Lui, Joe Biden le bon, se montre comme le bien-pensant, bon catholique et grand-papa jovial, paragon et protecteur de la démocratie dans le monde. Et ça marche encore et toujours comme ce fut le cas lors de la guerre d’invasion de l’Irak et de la Lybie. Construire et maintenir la présence d’un ennemi dangereux sur la scène mondiale permet de faire avaler les dépenses militaires faramineuses en augmentation constante dans les divers pays membres de l’OTAN. Depuis longtemps, les États-Unis réclament que tous ses alliés consacrent 2 % de leur PIB aux dépenses militaires; en ce sens, Joe Biden dit la même chose que son prédécesseur, Donald Trump. Le 15 juin, l’Agence France-Presse rapportait justement cet enjeu en citant le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg : « l’Alliance doit se consulter et investir mieux… » Sur les 21 pays membres de l’OTAN, 8 seulement tiennent l’engagement de consacrer 2 % de leur PIB à leurs dépenses militaires. »
  2. En proclamant haut et fort la Russie comme une menace, on détourne l’opinion publique d’autres situations cruciales pour la paix au sujet desquelles les États-Unis et ses alliés gardent un silence honteux et hypocrite. Pensons à diverses zones d’ombre sur lesquelles on ne souffle mot et on pratique le laisser-faire. Quelques exemples notoires illustrent cet état de fait :

a) Le soutien indéfectible à Israël qui maintient une occupation musclée sur la Palestine et poursuit son programme de colonisation du territoire palestinien;

b) L’embargo déraisonnable contre le peuple cubain;

c) Le soutien américain à des gouvernements qui pratiquent une répression armée contre leur peuple, pensons à la Colombie en ce moment;

d) Le silence sur les exactions et la violation constante des droits de la personne par le gouvernement de l’Arabie Saoudite, un allié indéfectible des États-Unis;

e) Le soutien américain et l’action de la CIA dans les affaires internes de différents pays (financement de partis de droite opposés à des forces progressistes comme le supposé démocrate Guaïdo au Venezuela et Fujimori au Pérou, etc.).

f) Et tous les manquements au respect des droits de la personne aux États-Unis même, par exemple quant aux droits sociaux et économiques, mériteraient un essai complet.

h) La balkanisation de l’ex-Yougoslavie pilotée par l’OTAN.

i) L’Implication directe de la CIA dans les tentatives sécessionnistes du Tibet comme signe d’un conflit larvé avec la Chine.

Et la liste des actions déstabilisatrices des États-Unis et de l’OTAN est encore beaucoup plus exhaustive.

Joe Biden détourne le regard vers l’ennemi russe afin d’éviter de se voir confronté à ses contradictions par son propre miroir. Le drame dans tout cela se traduit par le maintien d’un climat guerrier fait de tensions continues, ce qui va à l’encontre de la construction de la concorde entre les pays et du développement de la culture de la paix. C’est dommage que le Canada et les pays européens se laissent entraîner dans cette logique guerrière mise de l’avant par les États-Unis au sein de l’OTAN; ce n’est vraiment pas dans leur intérêt.

En bref, les positions de l’OTAN vont toujours dans les sens d’une militarisation grandissante enrobée de discours pompeux, faux et hypocrites quant à leur soi-disant souci de la sécurité internationale, des droits de la personne et de la démocratie. En un mot, inventer un ennemi en criant au loup sert bien leurs intérêts géopolitiques et économiques, leur soif de supériorité nucléaire et, bien sûr, la course aux profits de l’industrie de l’armement.

Personne n’est dupe de ces discours. La recherche de la paix ne passe pas par la construction d’un ennemi diabolisé et présenté comme une menace fantasmée.


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