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Un monde en manque de « reliance. »

par André Jacob

Travailleur social et sociologue, professeur retraité de l'École de travail social de l'Université du Québec à Montréal. Tout au long de ma carrière universitaire, j'ai mené une carrière artistique, tout particulièrement en arts visuels.

14 novembre 2022

Le Devoir, 14 novembre 2022

Dans Le Devoir du 10 novembre, Maria Dakli soulève une question fondamentale sur le plan de l’éthique qu’elle nomme « l’apathie occidentale face à l’autre » ou le déficit dans la conscience d’appartenir à une « même communauté internationale », ce qui correspond, écrit-elle, à « un coma végétatif sélectif. » En d’autres termes, elle met en exergue le fait que nous vivons dans l’insouciance ou l’indolence devant les catastrophes du monde, qu’il s’agisse des guerres, de l’urgence climatique ou de la misère des peuples.

Si nous pensons et agissons ainsi sans nous sentir responsables ni liés aux autres (ce que le philosophe et éthicien Edgar Morin appelle la « reliance »), qui sont partie intégrante de l’humanité tout comme nous, nous développons une disposition à tolérer facilement la destruction et la violation de l’autre, surtout si on nous le présente comme une menace ou une atteinte à nos croyances.

Dans son traité sur l’éthique (La méthode 6 : Éthique publié au Seuil), Edgar Morin rappelle que le sens de « l’éthique pour autrui nous demande donc d’abord de ne pas rejeter autrui de l’humanité ». Ne retrancher personne de l’humanité est un principe éthique premier, poursuit-il. « Ce principe nous demande non seulement de ne pas traiter l’autre comme objet, de ne pas le manipuler comme instrument, mais de ne pas non plus le mépriser ni de le dégrader comme sous-humain. »

Devant les conflits armés, la pensée collective actuelle va tout à fait dans le sens contraire. Au lieu de rechercher la paix avec l’autre, nous nous acharnons à promouvoir son élimination et la destruction de son environnement sans nous demander quelle est la part de nos responsabilités dans tel ou tel conflit.

Ainsi, actuellement, en mettant en opposition l’appui populaire massif aux positions de l’OTAN en Ukraine à l’indolence face aux autres conflits armés, notamment la guerre de l’Arabie saoudite au Yémen, force est de constater que l’opinion publique, comme le mentionne Mme Dakli, est malléable selon les intérêts des pays occidentaux dominants qui se définissent comme défenseurs de la démocratie et de la liberté aux yeux du monde. Entre les lignes, il faut comprendre que les exigences de la domination et de la croissance économiques priment toutes les autres considérations.

Depuis la nuit des temps, les élites politiques savent qu’il suffit d’agiter le gonfalon de la peur et celui de la menace de l’autre ou encore celui de perdre ne serait-ce qu’un minime pourcentage de nos facilités matérielles pour susciter l’adhésion inconditionnelle à la nécessité de faire la guerre dans l’irresponsabilité et l’insouciance générale.

Cette ligne directrice explique que, dans les conflits en cours sur la planète, le Canada ne se lève jamais pour dire : c’est assez, nous prenons la responsabilité de contribuer à bâtir la paix, de promouvoir des médiations et des négociations, de cesser la vente d’armes à des pays faiseurs de guerres (pensons au scandale de la vente des « Jeeps » canadiens à l’Arabie saoudite, pays qui dirige la guerre au Yémen).

Au contraire, on fait constamment appel à l’esprit guerrier pour promouvoir la nécessité de la guerre. Les chantres de la résignation aux diktats de nos intérêts clament haut et fort qu’il n’y a aucune autre option que la guerre « obligée ». Devant les catastrophes, la propagande travaille les esprits en vue de susciter l’adhésion inconditionnelle à la laideur et à l’esprit de destruction de la guerre plutôt qu’au respect des autres peuples et de la nature sous tous les aspects.

En somme, comme le rappelle Edgar Morin : « Notre civilisation sépare plutôt qu’elle ne relie. Nous sommes en manque de “reliance”, et celle-ci est devenue un besoin vital : elle n’est pas seulement complémentaire à l’individualisme, elle est aussi réponse aux inquiétudes, incertitudes et angoisses de la vie individuelle. […] La “reliance” est un impératif éthique primordial, qui commande les autres impératifs à l’égard d’autrui, de la communauté, de la société, de l’humanité. » Cet impératif s’appelle la responsabilité à l’égard du monde de l’autre, qui est aussi notre monde.

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1 Commentaire

  1. André Jacob

    Commentaires publiés dans Le Devoir.

    Brigitte Garneau – Abonnée 14 novembre 2022 01 h 15
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    « Respect » et « responsabilité »
    Ces mots ont-ils encore un sens aujourd’hui?? Il y a la guerre en Ukraine, le G20 à Bali…

    Cyril Dionne – Abonné 14 novembre 2022 08 h 52
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    Non Mme Garneau, ces mots n’ont plus de sens aujourd’hui, nous qui nous drapons dans les vêtements du juste..

    Oh! M. Jacob doit aussi faire attention parce qu’il va se faire traiter de suppôt de Poutine avec de telles positions. Pardieu, être contre la guerre en Ukraine, c’est certainement promouvoir la position de la Russie et être contre le complexe militaro-industriel américain.

    C’est agréable de lire que certains de la gauche n’ont pas perdu leur humaniste d’être contre la guerre. Comme le disait une certaine commentatrice et émettrice d’opinion récemment, supposément la poursuite de la guerre en Ukraine est une « guerre juste ». Bon là-dedans, il faut aussi inclure les croisades et les guerres d’empire en Irak et en Afghanistan à plus de 11 000 km de chez nous.

    Évidemment, si c’est contre notre position et donc à une atteinte à nos croyances et surtout à nos considérations économiques, tout comme une réaction « wokienne », on doit détruire l’autre sans poser de questions. Avez-vous remarqué que les États-désUnis, avec leur armée européenne qu’on appelle tout simplement l’OTAN, n’ont jamais parlé de paix en Ukraine.? Idem pour tous les pays occidentaux riches. Jamais au grand jamais, on se questionne de notre responsabilité antérieure dans ce conflit où le Canada a dépensé depuis 2015, un milliard $ pour entraîner l’armée ukrainienne de l’ouest, ceux qui sont responsables du coup d’état de 2014 et des 14 000 civils russophones morts au Donbass.

    Selon la doctrine Wolfowitz « néoconienne », les pays occidentaux, donc les USA, doivent dominer économiquement et militairement partout sur la planète dans un monde unipolaire pour défendrent leurs intérêts tout en se voyant comme de preux chevaliers défenseurs de la démocratie et de la liberté. Pour ceux qui ont subi ces invasions, ils n’en veulent pas de cette démocratie états-désunienne. La démocratie occidentale détruit sur son passage et ensuite se pose des questions si elle en a le temps.

    Françoise Labelle – Abonnée 14 novembre 2022 10 h 59
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    M.Dionne,
    Euh… Edgar Morin a condamné sans appel l’invasion poutinienne.
    «D’un côté, nous voulons soutenir un pays qui résiste et de l’autre côté, nous ne pouvons pas le faire intégralement, c’est-à-dire entrer dans la guerre. Et nous sommes dans un entre-deux : on fournit des armes et du ravitaillement.»
    Edgar Morin à franceinfo

    Il ajoute maintenant:
    «La stratégie de l’armée russe est implacable. Elle est fille de celle de Joukov, durant la Seconde Guerre mondiale, donnant le rôle premier à de formidables bombardements d’artillerie, non seulement contre l’armée ennemie, mais aussi contre les villes à prendre avec en dernier lieu l’écrasement total par l’artillerie lourde de la capitale du Reich, Berlin. Comme toute armée victorieuse, mais plus terriblement dans l’avancée soviétique en Allemagne, tueries et viols se sont multipliés. Nous l’avions su alors mais nous nous sommes bien gardés de les dénoncer, les expliquant comme vengeance des énormes souffrances et morts infligés par l’Allemagne nazie aux populations soviétiques.»
    Guerre en Ukraine : « Escalade et dégringolade », la lettre ouverte d’Edgar Morin

    Les torts des USA ne justifient pas l’invasion imbécile du 24 février. Les USA n’ont pas envahi la Russie et les armes fournies aux Ukrainiens sont bridées pour ne pas atteindre la Russie qui ne se gêne pas pour voler, piller et attaquer les infrastructures civiles.

    Cyril Dionne – Abonné 14 novembre 2022 16 h 17
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    Chère Mme Labelle,

    Les USA n’ont pas envahi l’Ukraine? Faux. Depuis deux décades, le milliardaire George Soros, avec l’appui du gouvernement américain, s’applique au renversement de régimes autour de la Russie avec ses ONG. Voir la révolution des roses en Géorgie (2003), la révolution orange en Ukraine (2004) et la révolution des tulipes au Kirghizistan (2005). Soros, c’est le même qui disait « je ne me sens pas coupable même si je me suis engagé dans des activités amorales ». C’est aussi le même, qui durant la 2e guerre mondiale, dénonçait les Juifs à son parrain SS allemand selon ce qu’il a dit dans une entrevue du 20 décembre 1998 qu’il a donné à Steve Kroft de la célèbre émission américaine, 60 minutes. Et il était Juif.

    Pour les Américains, ils ont envahi, procédé à des changements de régimes et des coups d’état dans presque tous les pays du monde depuis leur création. C’est peut être pour cela qu’il ont plus de 80 bases militaires dans 70 pays et sur tous les continents. Donc, rien de plus normal pour eux de procéder à un coup d’état en février 2014 en Ukraine en renversant un président dûment élu par la population. Cela, ce sont des faits. Et que font-ils à plus de 11 500 km de leurs frontières en Ukraine?

    Enfin, tout comme pour les autres sympathisants aux ultranationalistes ukrainiens avec les gauchistes comme Bernie Sanders, on n’entend jamais parler de paix de votre part. Des armes et encore plus d’armes. C’est sûr que c’est la meilleure façon d’arriver à une paix durable dans ce coin du monde lorsqu’il n’y aura plus personne en Ukraine.

    André Labelle – Abonné 14 novembre 2022 17 h 09
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    Tous les arguments même les plus perfides sont bons pour justifier une idéologie qui aboutit à une guerre criminelle et au massacre d’une population. Il y a quelques jours dans un de ses commentaires obtus il affirmait que le débarquement de Normandie en ’44 n’avait servi à rien car c’est en fait la Russie qui a vaincu l’Allemagne. Quand un individu, sous le joug de la propagande russe affirme une telle insanité, comment pouvons-nous prendre au sérieux d’autres chapitres de cette propagande.
    Mais il est toujours intéressant de voir et de lire jusqu’où une personne semblant intelligente et honnête peut aller pour défendre son gourou : Poutine. C’est comme un thriller déjanté de série E où on se demande ce que va encore inventer son auteur pour nous faire croire que son histoire tient la route. Ça devient pathétique … On réinterprète les faits historiques, on invente des faits, on fait des corrélations qui n’ont ni queue ni tête.
    Pendant ce temps son héros, son gourou en prend pour son rhume – faut-il dire que c’est la saison ! – et les paris sont ouverts pour ce qu’il lui reste de temps avant de marcher la queue entre les deux jambes en criant au martyr.

    Denis Blondin – Abonné 14 novembre 2022 08 h 38
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    Pas seulement sur le plan des valeurs…
    Cette réflexion fort intéressante sur notre appartenance à une commune humanité repose surtout sur un appel de nature éthique, soit celui qui repose sur les valeurs à cultiver pour agir envers les autres dans un esprit de « reliance ».

    C’est là une composante essentielle de la cosmologie qui serait à reconstruire pour compléter ou supplanter celle des identités nationales ou « ethniques ». Or il me semble qu’un tel programme devrait en même temps reposer sur la reconstruction des concepts que nous utilisons pour fonder ces identités. Par exemple, en choisissant de définir les humains comme des « animaux raisonnables », tout en affirmant haut et fort que Nous les Occidentaux serions les seuls sur qui sont descendues les Lumières de la Raison au 18e siècle, nous affirmons en même temps que nous sommes les seuls vrais humains conformes à la définition.

    Dès lors, tous les autres humains sont pensés comme des êtres régis par l’irrationalité des religions, croyances, magies, idéologies et autres fadaises. Autrement dit, comme des représentants d’une autre espèce, également « humaine », mais pas la même que la nôtre.

    Hélène Paulette – Abonnée 14 novembre 2022 10 h 24
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    Serions-nous plutôt des « animaux déraisonnables », ne sachant pas reconnaître l’apport des autres cultures à cette civilisation que nous croyons nôtre? Notre inculture et notre manque de mémoire, résultat d’une éducation édulcorée par l’utilitaire et par un individualisme outrancier, nous rend vulnérables à toutes les propagandes guerrières.

    Marc Therrien – Abonné 14 novembre 2022 15 h 59
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    Ainsi, dans le monde des cercles concentriques de l’identité, l’identification et le sentiment d’appartenance à l’humanité qui est à parfaire est l’idéal visé par lequel on aspire à former un grand « Nous » universel qui dépasse tout en les conservant la somme des « Je » qui le compose tout en n’ayant plus besoin d’un « Eux » duquel se détacher et se distinguer pour sécuriser son sentiment d’exister. Ne reste plus qu’à trouver le liant qui favoriserait la « reliance ».

    Marc Therrien

    Pierre Fortin – Abonné 14 novembre 2022 18 h 06
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    « Ne reste plus qu’à trouver le liant qui favoriserait la « reliance ». »

    Ce « liant qui favoriserait la « reliance » », Monsieur Therrien, ne serait-il pas l’obligation de « reliance » que nous impose l’état dans lequel nous avons mis la planète ? À peine arrivons-nous à mesurer l’ampleur du problème. Tout se passe comme si nous préférions regarder ailleurs en imaginant peut-être y échapper.

    Mais la réalité est têtue et ses conséquences encore plus. Peut-être y viendrons-nous par la force des choses.

    Marc Therrien – Abonné 14 novembre 2022 18 h 57
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    Effectivement M. Fortin. Après avoir essayé la (les) religion (s) pour se relier à ce plus grand que soi qui nous dépasse, ce liant pourrait devenir la Nature qui nous a enfantés si on arrivait à dépasser cette illusion de trouver le bonheur en la possédant, la dominant et l’exploitant et à guérir de cette éternelle insatisfaction qui rend bien vaines les richesses que nous produisons en la détruisant.

    Marc Therrien

    Hélène Paulette – Abonnée 14 novembre 2022 10 h 07
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    Qu’est-il advenu du pacifisme?
    Décrédibilisé par Reagan dans les années 80, il serait plus que temps qu’il revienne à l’ordre du jour. Le GIEC ne comptabilisant toujours pas les GES générés par l’utisation des armes de destruction massives, il est essentiel qu’on milite contre leur utilisation et qu’on réagisse à cette campagne de peur contre un « ennemi » qui ne menace qu’un impérialisme démocratique dont nous sommes les premiers à souffrir.

    Serge Prévost – Inscrit 14 novembre 2022 11 h 23
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    La bonté globale pas facile
    Certes aimez vous les uns les autres est plus facile à dire qu’à faire. Prenons un exemple simple le vote en bloc de la ville de Montréal/Laval n’est-ce pas un raciste inversé anti Québécois. Prenons un autre exemple facile admettons qu’il y est une possibilité que le chemin Roxham alimente les gangs de rue. À titre de conclusion admettons que Zelensky n’a jamais négocié de bonne foi sommes nous prêt à reviser nos positions face à cette guerre, non car la pensée unique prévaut… Pensée à l’inverse demande un effort, la pensée unique est facile…une démocratie avec 40% voir même 50% des électeurs n’est pas immorale voir même illégale.

    Yves Corbeil – Inscrit 14 novembre 2022 13 h 55
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    Lorsque nous assumerons la douleur de l’autre, notre engagement nous donnera un sens qui nous placera au-dessus de la fatalité de l’histoire
    L’Occident possède 73% de la richesse monétaire de la planète pour 14% de la population mondiale donc si mon calcul mental est exact 86% de la population mondiale se sépare le reste soit 27% de la richesse. Ces données datent d’une quinzaine d’années mais elles n’ont pas vraiment changé croyez moi.

    Alors que les populations migrent de plus en plus pour les besoins économiques des premiers qui eux ne tiennent pas compte que les seconds dans leurs états n’ont pas eu accès aux bénéfices des avancées pharmaceutiques du siècle dernier ( seulement servi de cobaye aux recherches mais c’est un autre dossier ), alors le mélange des genres semble se passer difficilement pour les premiers qui eux se demandent si il ne devraient pas ajouter le masque aux murs qu’ils ont érigé pour se « protégés ».

    Comment résoudre l’énigme de la propagation des maladies dans ce contexte de grand besoin de main d’oeuvre sans dépenser une fortune pour tous les immunisés rendu « chez nous » et même avant qu’ils entreprennent le long voyage. Ouf! tout un défi. Mais en attendant d’avoir réponse à ce dilemme, ils nous suggèrent le port du masque ce matin, avec la prolifération des bébittes due au néocapitalisme pour lequel aucune frontière ne résiste nous allons nous masqués.

    Et bien, l’engagement d’assumé la douleur de l’autre pour se placer au-dessus de la fatalité de l’histoitre, ça ne me semble pas être pour demain et ni après demain. Aurons-nous un jour le courage de les démasqués ces semeurs de misère pour le plus grand bien de notre humanité.

    Marcel (Fafouin) Blais – Abonné 14 novembre 2022 16 h 27
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    … Silence-de-l’Autre!
    « Une civilisation en manque de « reliance » » (Titre Article, Le Devoir)

    oui, en générale, la population demeure sensible et proche de la reliance, mais d’observations actuelles et non, lorsque cependant, hélas!, les autorités, qui aiment soutenir ou provoquer des guerres ou des guéguerres et des injustices, présentent rarement la Paix si elles « doivent » entrer-en-guerre avec l’ennemi présumé!

    En manque ou selon de « reliance »?!?, la Civilisation cherche à demeurer ou rester solidaire de ce qui l’entoure et l’alimente, sauf qu’elle hésite de responsabilité si ses dirigeants préfèrent l’endormir ou la soumettre au …

    … Silence-de-l’Autre! – 14 nov 2022 –