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Je ne sais plus.

par André Jacob

Travailleur social et sociologue, professeur retraité de l'École de travail social de l'Université du Québec à Montréal. Tout au long de ma carrière universitaire, j'ai mené une carrière artistique, tout particulièrement en arts visuels.

1 octobre 2021

Texte paru dans D’amour et d’oubli (mots tendres sur l’alzheimer), idée originale de Claudie Stanké, Laval, Guy Saint-Jean éditeur (2021), p. 149 – 1 52. ISBN 978-2-89827-152-6

Illustration: Tableau d’André Jacob. Les chemins de travers. Technique mixte (huile et collage).

Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l’or massif:

Ses mâts touchaient l’azur, sur des mers inconnues;[1]

Je me rappelle ce chant récit de ma vie

Je naviguais à vue dans la lumière

Mais aujourd’hui mon cœur exsangue

Reste cloîtré dans le temps présent

                  Je ne sais plus

Sans quille sans sextant ni boussole

À la merci des bourrasques

Je sombre dans les remous de l’oubli

Seul à bord dans la nef des fous démâtée

J’inscris des mots du passé

Sur une grande voile déchirée

            Je ne sais plus

Malgré la poudrerie j’ai marché

Avec les sirènes de l’enchantement

Sifflement d’une étrange symphonie

Sans mots sur la portée de mes jours

Dans la toundra de mes rêves

Je suis perdu dans un paysage hiémal

            Je ne sais plus

Esseulé dans un désert poussiéreux

Prisonnier d’une oasis sans murailles

Peuplée de chicots de souvenirs

Mon île sans soleil se rétrécit

Dans l’ombre des apparences

Attachées au fil ténu de l’entendement

            Je ne sais plus

Je suis réfugié à l’échouerie des absents

Avec Job au cachot de la douleur

Oublié dans mon grimoire

Éparpillé dans un temple mystérieux

Subrepticement me voici condamné

Aux fers dans la geôle de la vacuité

            Je ne sais plus

Mon imagination soude des barreaux

Je suis maudit du monde des idées

Condamné à tourner en rond

À travers le labyrinthe de la torpeur

Mes rêveries ont basculé dans le vide

Effritées sous les décombres du temps

            Je ne sais plus

Mon regard cherche la lueur d’une chandelle

Mes yeux hébétés ne cherchent plus la lumière

À travers les ténèbres d’un ciel sans étoiles

Je reste figé les pieds collés dans la boue

Mortelle comme sable mouvant

Dans l’éternelle indifférence du présent

Je ne sais plus

J’ai navigué à bord d’un vaisseau d’or

Devenu naufrage dans un immuable cercueil

Ses flancs diaphanes vidés de ses trésors

Sous la mer du silence d’un grand écueil

Qu’est devenu mon coeur, navire déserté?

 Hélas! Il a sombré dans l’abîme du Rêve!

            Je ne sais plus

            Je ne sais plus

André Jacob

6 février 2021


[1] Nelligan, Émile. Le vaisseau d’or.

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