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Leçon de l’Afghanistan : la guerre ne crée pas la paix.

par André Jacob

Travailleur social et sociologue, professeur retraité de l'École de travail social de l'Université du Québec à Montréal. Tout au long de ma carrière universitaire, j'ai mené une carrière artistique, tout particulièrement en arts visuels.

31 août 2021

Leçon de l’Afghanistan : la guerre ne crée pas la paix.

Depuis des siècles, on recherche la paix en faisant des guerres.

Les conflits presque perpétuels en Afghanistan ne présentent de nouvelles perspectives pour la paix. Au-delà des considérations liées à l’actualité, je propose un survol de la crise en Afghanistan avec un regard un peu… philosophique.

Un chaos violent planifié de longue date.

            Dans le cas de l’Afghanistan, rappelons que les pays occidentaux, les États-Unis en tête, ont contribué à faire naître ce chaos depuis quelques décennies déjà, comme en Iran d’ailleurs. Il faut remonter à la « guerre froide » ou la lutte constante contre la Russie, grand producteur de pétrole qui en alimente une bonne partie de l’Europe, pour en saisir les fondements. À l’époque de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), l’Occident, toujours inspiré par les lubies antisocialistes obsessionnelles du sénateur américain Joseph McCarthy (penseur de la peur rouge) poursuivait sa guerre anticommuniste virale sur toute la planète; il fallait réduire toute forme d’influence de l’URSS dans le monde. Même si l’URSS n’existe plus comme tel, l’acharnement anti-Russie prévaut encore aujourd’hui; le conflit en Afghanistan s’inscrit dans cette logique passéiste.

Dans un article percutant intitulé Question more , John Pilger  rappelle qu’en 1978 l’Afghanistan avait conquis sa liberté en élisant un gouvernement socialiste porté par le Parti démocratique du peuple (PDP); le renversement de la dictature de Mohamed Daub a surpris les gouvernements américains et britanniques qui perdaient ainsi un collaborateur et ils ont vite mis en œuvre des stratégies pour déstabiliser le nouveau gouvernement soutenu par l’URSS. Cette élection signifiait la mise en place d’un système d’éducation accessible à tous et à toutes, la promotion de la présence active des femmes dans la société et des services de santé publics basés sur l’établissement de politiques sociales plus justes pour l’ensemble du peuple. L’Afghanistan entrait donc, démocratiquement, dans une nouvelle ère de progrès social sans précédent. À titre d’exemple, à la fin des années 80, les femmes étaient très présentes dans les universités, particulièrement dans les facultés de médecine et d’éducation. Pour l’Occident, ce gouvernement représentait son talon d’Achille dans sa « gestion » de la région. Le gouvernement de Jimmy Carter a entrepris alors de financer largement des stratégies de déstabilisation d’un gouvernement afghan progressiste. L’URSS a réagi et a maintenu son soutien au gouvernement de l’époque alors que les États-Unis ont continué à financer et à armer les Moudjahidines (dits maintenant talibans), lesquels ont fini par provoquer la défaite du gouvernement élu. Du coup, les acquis progressistes ont disparu sous la férule des talibans et des seigneurs de la guerre qui ont pu établir leur dictature et préserver leurs privilèges découlant du trafic de l’opium et des armes.

Cette dictature talibane fortement imprégnée d’un sunnisme ultraconservateur appuyé par l’Arabie Saoudite s’est finalement retournée contre l’Amérique. Les attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Centre de New York ont été le prétexte pour que les États-Unis décident de détruire le gouvernement taliban parce qu’il protégeait Oussama Ben Laden, dit le leader de ce coup. Le gouvernement de Georges W. Bush, avec l’appui du gouvernement britannique dirigé par Tony Blair, a réagi avec autant d’arrogance que de violence et a envahi l’Afghanistan, l’Irak et la Libye, avec la prétention de libérer les peuples de dictatures en leur offrant le cadeau empoisonné de la démocratie à la manière américaine appliquée par des dirigeants locaux manipulés comme des marionnettes. Depuis, l’Afghanistan et les autres pays ruinés par les guerres vivent le chaos, les inégalités croissantes et le recul des droits des femmes, des enfants et des minorités ethniques et religieuses. On connaît la suite, aujourd’hui, les talibans reviennent en force et imposent leur loi et leur credo par les armes.

Le départ des États-Unis et de leurs alliés de l’Afghanistan représente un échec retentissant et l’abandon d’un champ de ruine sur tous les plans sans que l’on puisse identifier clairement des acquis démocratiques ni de paix à l’horizon.

L’histoire semble se répéter.

Notre monde a grandement besoin d’un appel à la sagesse et à la justice sociale pour en arriver à l’égalité entre les peuples. Les dirigeant.e.s contemporains des pays devraient adopter comme principe que la recherche de la justice sociale devrait être le principal moteur derrière toutes les décisions qui affectent les habitants de la planète; pour garantir la paix, tous les pays devraient aussi travailler à établir et à respecter le principe de la coexistence pacifique basé sur les principes de la non-intervention dans les affaires des autres pays et du maintien du droit à l’autodétermination des peuples. C’est un truisme élémentaire, dira-t-on dire, mais l’application de tels principes fondamentaux ne va pas de soi.

 Les promoteurs de guerres, au nom des dogmes imposés dans les sociétés de consommation dites civilisatrices, vont continuer de répéter ad nauseam qu’il s’agit là d’ouvrir la porte au socialisme; ce concept qui heurte tellement les convictions profondes des puissances occidentales. Ces pays riches, imbus de leur supériorité, forment un club des décideurs qui croient détenir la vérité au sujet des affaires du monde, notamment sur la dynamique des relations entre les peuples; le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni), constitue un puissant levier d’influence en détenant 45 % des richesses de la planète. Est-ce possible que sept pays détiennent pratiquement la moitié des richesses de tout notre monde entre leurs mains? Il y a de quoi avoir le vertige quand on réalise que le reste de la population mondiale n’est pas ou très peu représenté là où se dessinent les grandes orientations sociales, économiques, politiques et cultures, notamment au sujet des guerres et, en théorie du moins, de la paix.

En résumé, le capitalisme néolibéral prédateur défini comme un credo incontournable pour garantir la démocratie (bourgeoise, bien entendu) et la liberté individuelle (comprendre celle soumise aux diktats de la consommation) se sert d’outils puissants pour protéger les intérêts des pays riches. Cette défense est justifiée sur le plan idéologique, car les grandes puissances mondiales entretiennent une mentalité guerrière fondée sur l’illusion de « croire » qu’elles sont du côté du bien (voir Le Monde Diplomatique) et de la vérité pour justifier les actions et les exactions qui font partie d’une manière intrinsèque de conflits savamment entretenus Les Américains et leurs alliés justifient leurs interventions en vertu de leurs croyances en leur type de démocratie, en la supériorité de leur système économico-militaire et en leur auto-justification à savoir la détention du monopole de la promotion et de la défense des droits et libertés de la personne. Les talibans croient aussi qu’ils se situent du côté du bien. Nous voilà donc devant une dynamique manichéenne. En somme, il est légitime de nous demander si le monde reste captif des anciennes dynamiques guerrières brutales comme lors des éternelles guerres de religion (Croisés contre Sarrazins ou catholiques contre cathares et huguenots comme au Moyen-Âge); l’’Occident serait-il condamné à répéter l’histoire des conquêtes colonialistes guerrières? Ces questions ont de quoi alimenter les polémiques pendant longtemps encore.

Bâtir la paix exige d’autres perspectives que celles qui mènent à l’échec et à l’injustice.

En somme,dans un monde idéal, la recherche de la justice sociale, de la coexistence pacifique, de l’égalité entre les peuples et de leur autodétermination devrait remplacer les jeux d’intérêts politiques, économiques et culturels des pouvoirs dominants qui engendrent les guerres colonialistes d’invasion et de domination. Utopie, dira-t-on. Le néocolonialisme de type capitaliste prédateur des ressources humaines et matérielles ne veut pas changer; il croit en sa supériorité immuable. Ses croyances mises en application génèrent encore et toujours misère, génocide, inégalités sociales et économiques de même que l’impuissance et la soumission des peuples devant des puissances disproportionnées. Les faits historiques ne mentent pas : esclavage, tentatives d’élimination des peuples des Premières Nations dans les Amériques, nombreux coups d’État dans différents pays pour mettre en place des gouvernements fantoches voués aux intérêts des groupes dominants, sanctions économiques permanentes (embargo, etc.) pour étouffer les pays insoumis (Cuba, Venezuela, Iran, etc.) et les agenouiller devant les veaux d’or et les illusions du bonheur et de la liberté dans les paradis de la consommation.

Aujourd’hui, avec plus de 800 bases militaires réparties sur tous les continents, les États-Unis se prétendent les gendarmes du monde et s’arrogent le titre de promoteur et défenseur de LA démocratie et de protecteur des droits et libertés dans le monde, mais à leur image et à leur ressemblance. Comme le chantait Jean-Pierre Ferland : God is American

En somme, ce gâchis en Afghanistan nous reporte dans l’histoire de l’après-guerre et démontre que les modèles de société ne s’exportent pas et ne s’imposent pas par la force militaire; à titre d’illustrations, rappelons quelques échecs américains flagrants (Cuba, Viet Nam, Argentine, Chili, Salvador, Libye, Irak, Iran, Afghanistan), lesquels laissent derrière des milliers de mots et de blessés, sans compter les ruines et la misère. Dans Le Devoir du 2 septembre, Stéphane Baillargeon rappelle que la guerre au Moyen-Orient se traduit en chiffres impressionnants: « 900 000 morts et 10 000 milliards: le coût des guerres américaines au Moyen-Orient ».

Comme le mentionnait un titre du journal Le Devoir du 31 août 2021, c’est  » le début d’une fin américaine sous haute tension à Kaboul. » D’autres chapitres de ce drame restent à écrire…

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