Après des siècles d’ombre sur des pans de l’histoire, la lumière s’impose. Le Devoir
Publié dans Presse-toi à gauche!
Dans Le Devoir du 4 juin, l’anthropologue Marie-Pierre Bousquet, experte sur les questions liées à la mémoire des enjeux historiques liés à la condition des Premières Nations, rappelle l’importance de mieux connaître toutes les dimensions de l’histoire : « Il faut regarder clairement les relations entre Autochtones et allochtones pour avancer. Il faut enseigner autrement cette histoire. Il faut aussi sortir du champ émotionnel. » Je partage son point de vue. Pour rappeler les grands trous noirs dans l’histoire des drames qui ont affecté les Premières Nations, elle suggère la création et l’implantation de monuments dans les grandes villes comme le recommandait la Commission de Vérité et réconciliation. Il s’agit là d’un pas significatif certes, mais insuffisant.
Je ne fais pas partie du cercle des experts, mais je m’interroge sur la pertinence de limiter la stratégie de reconnaissance de la mémoire à des monuments. On le sait, nombre de monuments perdent vite leur signification dans l’oubli général, car la plupart des gens ne font pas de liens avec l’ensemble des situations à la vue d’un monument. Un monolithe, une stèle et un menhir, peu importe, ne touchent trop souvent qu’une dimension d’un phénomène historique. En outre, le bloc de béton, de pierre ou la sculpture qui fait œuvre de monument reste une signification figée dans l’espace et le temps; comme le souligne Patrick Moreau dans Le Devoir du 26 juin 2021: Les statues de bronze souhaitent rendre éternel tel personnage célèbre en son temps ou perpétuer le souvenir de tel ou tel événement. Elles ont pour ambition de marquer l’espace et surtout de défier le temps… que rien ne défie vraiment. De ce point de vue, toute statue, tout monument, sans exception, a pour inévitable destinée de devenir, à plus ou moins brève échéance, anachronique.
Pourquoi ne pas développer des musées? Un musée dynamique évolue et permet une grande variété d’expériences pédagogiques. Il est même possible d’envisager la création de musées virtuels comme en Colombie au sujet des traces de conflits internes. De l’histoire des peuples autochtones, il reste encore beaucoup de pages d’histoire à écrire, notamment au sujet du génocide en marche depuis que Christophe Colomb a mis les pieds dans les Amériques.
Les situations auxquelles réfèrent madame Bousquet et de nombreuses autres sont documentées et elles méritent d’être mises en lumière; thèses, rapports et autres documents dorment trop souvent dans des lieux réservés à des initiés. Le grand public pourrait avoir accès à ces trésors de la connaissance. Dans plusieurs cas, notamment la Shoah, des musées commémoratifs répartis à travers le monde permettent à monsieur et madame Tout-le-Monde de comprendre la dynamique de l’histoire de ce drame grâce à l’accès adapté à des documents.
Dans le monde, plusieurs musées de la mémoire existent. À Santiago du Chili, le Musée de la mémoire est devenu une institution-phare pour rappeler les horreurs commises par la dictature militaire du général Pinochet (1973 – 1989). Au-delà de la présentation de documents sous diverses formes, le musée organise des événements à caractère social, artistique, historique, scolaire et, bien sûr, politique. Sa renommée internationale n’est plus à démontrer.
Pourquoi le gouvernement canadien et les gouvernements provinciaux ne mettraient-ils pas l’épaule à la roue pour créer des institutions muséales autres que folkloriques? Nos sœurs et nos frères des Premières Nations méritent des formes de reconnaissance dignes des situations vécues au fil de l’histoire du pays et des formes de discriminations systémiques qui survivent toujours aux drames passés.
Mais, dira-t-on, ça coûterait trop cher? Mais alors, le coût social de l’ignorance des drames passés vécus par les Premières Nations représente un coût social, moral, culturel et politique qui dépasse toutes les valeurs financières. Les enfants des Premières Nations morts dans les pensionnats ne reviendront pas et un devoir de mémoire s’impose. L’histoire est déjà bien documentée; Tanya Talga, journaliste ojbwée, vient de publier un ouvrage qui apporte de nouveaux éléments au drame de la disparition des enfants.
Le moment de la reconnaissance est arrivé, nos gouvernements et les Églises, notamment l’Église catholique doivent agir. Cette dernière refuse toujours de reconnaître sa part de responsabilité dans ce drame historique.
Comme me l’écrivait mon ami Maurice Gendron pour souligner l’importance d’agir pour la mémoire: « nos sœurs et nos frères des Premières Nations méritent des formes de reconnaissance dignes des situations vécues au fil de l’histoire du pays et des formes de discriminations systémiques qui survivent toujours aux drames passés.
Et nous aussi allochtones méritons ce contact avec notre histoire.«
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