Texte paru dans D’amour et d’oubli (mots tendres sur l’alzheimer), idée originale de Claudie Stanké, Laval, Guy Saint-Jean éditeur (2021), p. 149 – 1 52. ISBN 978-2-89827-152-6
Illustration: Tableau d’André Jacob. Les chemins de travers. Technique mixte (huile et collage).
Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l’or massif:
Ses mâts touchaient l’azur, sur des mers inconnues;[1]
Je me rappelle ce chant récit de ma vie
Je naviguais à vue dans la lumière
Mais aujourd’hui mon cœur exsangue
Reste cloîtré dans le temps présent
Je ne sais plus
Sans quille sans sextant ni boussole
À la merci des bourrasques
Je sombre dans les remous de l’oubli
Seul à bord dans la nef des fous démâtée
J’inscris des mots du passé
Sur une grande voile déchirée
Je ne sais plus
Malgré la poudrerie j’ai marché
Avec les sirènes de l’enchantement
Sifflement d’une étrange symphonie
Sans mots sur la portée de mes jours
Dans la toundra de mes rêves
Je suis perdu dans un paysage hiémal
Je ne sais plus
Esseulé dans un désert poussiéreux
Prisonnier d’une oasis sans murailles
Peuplée de chicots de souvenirs
Mon île sans soleil se rétrécit
Dans l’ombre des apparences
Attachées au fil ténu de l’entendement
Je ne sais plus
Je suis réfugié à l’échouerie des absents
Avec Job au cachot de la douleur
Oublié dans mon grimoire
Éparpillé dans un temple mystérieux
Subrepticement me voici condamné
Aux fers dans la geôle de la vacuité
Je ne sais plus
Mon imagination soude des barreaux
Je suis maudit du monde des idées
Condamné à tourner en rond
À travers le labyrinthe de la torpeur
Mes rêveries ont basculé dans le vide
Effritées sous les décombres du temps
Je ne sais plus
Mon regard cherche la lueur d’une chandelle
Mes yeux hébétés ne cherchent plus la lumière
À travers les ténèbres d’un ciel sans étoiles
Je reste figé les pieds collés dans la boue
Mortelle comme sable mouvant
Dans l’éternelle indifférence du présent
Je ne sais plus
J’ai navigué à bord d’un vaisseau d’or
Devenu naufrage dans un immuable cercueil
Ses flancs diaphanes vidés de ses trésors
Sous la mer du silence d’un grand écueil
Qu’est devenu mon coeur, navire déserté?
Hélas! Il a sombré dans l’abîme du Rêve!
Je ne sais plus
Je ne sais plus
André Jacob
6 février 2021
[1] Nelligan, Émile. Le vaisseau d’or.
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