L’histoire révèle des ombres sur les désirs de lumière…
Les Oblats furent fondés par Mgr Eugène de Mazenod, évêque d’Aix-en-Provence, en 1816. Son objectif était de former des prêtres pour amener les masses populaires de la Provence à l’Église catholique dans un esprit de restauration du rôle de l’Église catholique d’après la Révolution française. Issu d’une famille aristocratique riche, la famille du fondateur avait été dépossédée de ses biens. Sa spiritualité a inspiré de nombreux prêtres à se joindre à ce mouvement, à former la communauté des Oblats de Marie-Immaculée et à s’engager en faveur des plus pauvres de la société.
En 1841, que Mgr Bourget, fait appel aux Oblats pour venir travailler au Canada. Très rapidement, ils sont engagés dans la dynamique de la conquête de l’Ouest sous la responsabilité du père Albert Lacombe, un Oblat voué, selon la terminologie de l’époque, à la « christianisation des Autochtones. » Cette spiritualité d’accompagnement des visées conquérantes du gouvernement canadien explique en bonne partie pourquoi les Oblats ont accepté de collaborer à l’implantation des pensionnats avec, en prime, l’intention de pouvoir y mettre en œuvre leur plan de christianisation joint au projet d’assimilation du gouvernement canadien.
Rappelons en synthèse que le XIXe siècle a constitué une période faste du colonialisme à la manière européenne et, comme toujours depuis des siècles, l’Église catholique (comme les Églises protestantes dans les perspectives colonialistes anglo-saxonnes) a participé activement à ce mouvement de fond. Les puissances politiques et économiques colonisatrices s’affairaient à conquérir des territoires pour augmenter leur poids démographique et mettre la main sur les ressources naturelles des territoires conquis. Dans leur visée, l’assimilation et le contrôle social et culturel des populations passaient par la christianisation d’où l’insertion des ordres religieux dans cette démarche fondée sur la croyance en la supériorité intellectuelle européenne.
Dans ce contexte, selon leur spiritualité, les Oblats ont privilégié la pastorale auprès des plus pauvres dans les diverses sociétés où la congrégation est intervenue et intervient toujours. En ce sens, leur intervention dans les communautés des Premières Nations reposait d’abord sur une approche fondée sur une spiritualité bien définie :
« Le premier but de notre Congrégation est d’apporter la Bonne Nouvelle à « ceux dont la condition réclame à grands cris une espérance et un salut que seul le Christ peut apporter… » (C.5). Bien que certains ministères occupent une place centrale dans notre tradition, aucun ministère ne nous est étranger, dans la mesure où il contribue à proclamer l’Évangile aux pauvres et aux plus abandonnés et qu’il réponde à leur « besoin de salut » (C.1) Dans l’accomplissement de ce mandat, nous formons des communautés apostoliques, passant les frontières pour être en missions étrangères, cherchant à abattre les barrières, choisissant la proximité avec les gens et l’interculturalité comme moyens d’être en mission. »
Les Oblats, certes, ont réalisé de grandes choses. Cependant, comme en témoignent de façon éloquente les révélations récentes d’abus sexuels, certains membres ont commis des crimes. Et au niveau de ses relations politiques, la communauté comme telle s’est fourvoyée, notamment dans son rapport avec les Autochtones lors de son acceptation de la gestion des pensionnats.
Dans son article paru Le Devoir du 6 juillet 2021, le professeur Jacques Rouillard rappelle que « ces pensionnats dirigés par des communautés religieuses ne sont pas des camps de concentration destinés à commettre des meurtres et à assurer la destruction physique des Autochtones. L’objectif assigné par le gouvernement aux communautés est de faire rapidement de ces jeunes Autochtones des citoyens ayant les mêmes valeurs et identité que les autres jeunes Canadiens.» Et il précise, à juste titre, que « la responsabilité de cette tragédie incombe entièrement aux gouvernements canadiens qui se sont succédé et qui ont financé les pensionnats, et non aux communautés religieuses qui répondaient aux objectifs de scolarisation fixés par le ministère des Affaires indiennes. »
Comme le souligne le prêtre oblat Bernard Ménard, les Oblats ont reconnu leur part d’erreur et demandé pardon à deux reprises, d’abord en 1991, ensuite en 2018. Et il ajoute qu’il « reste beaucoup à faire pour rétablir le plein respect et l’égalité entre toutes les Nations en ce pays (Bulletin OMI, 15 juin 2021).
À la lumière de cette affirmation du père Ménard, le premier ministre Trudeau n’a pas tout à fait raison d’affirmer que l’Église catholique ne s’est jamais excusée. Si le Pape ne l’a pas fait au nom de son Église, on peut dire qu’une des communautés religieuses les plus interpellées, les Oblats, l’a fait.
Vue de l’intérieur.
J’ai passé quelques années au sein de la communauté oblate dans les années 60s. J’incarnais alors, comme d’ailleurs les autres hommes et femmes qui faisaient partie de communautés religieuses à l’époque, les idées et valeurs de mon temps. L’État ne se souciait guère de politiques sociales et c’est l’Église qui compensait donc les lacunes; on lui confiait les institutions sociales (services de santé, services sociaux, éducation (externats et internats, écoles privées).
La grande erreur historique de l’Église catholique et des grandes Églises protestantes (particulièrement l’Église unie du Canada et l’Église anglicane) fut de signer des ententes avec les gouvernements canadiens successifs pour participer au projet colonialiste canadien. Ces ententes historiques furent fondamentales, structurantes et déterminantes pour l’action conservatrice évangélisatrice de ces grandes Églises. Ces Églises dominantes se sont accommodées de cette vaste stratégie de collaboration avec les différents niveaux de pouvoir.
Ces ententes, formelles ou non, confiaient les « soins des pauvres » aux Églises et leur accordaient la liberté d’exercer leur missionnariat et de contribuer au contrôle idéologique des peuples en prêchant la grandeur de vertus chrétiennes comme la soumission et l’obéissance à l’ordre établi et la charité pour développer le ciment social de l’entraide. Toute cette pensée dominante et acceptée par les masses populaires canadiennes et la bourgeoisie s’inscrivait aussi dans la lutte aux mouvements d’opposition à l’ordre établi par les puissants de ce monde. À travers les siècles et d’une façon générale, l’Église catholique s’est associée aux grandes tendances (Croisades, esclavagisme, Inquisition, luttes anti-protestantisme, lutte contre les droits des femmes et des droits des Premières Nations, luttes anticommunistes, etc.) et les ordres religieux n’ont jamais été loin des lieux de pouvoir. Les Oblats ont évolué avec leur époque. Évidemment, il est facile de condamner et de réduire la présence oblate dans les pensionnats en leur attribuant toutes les responsabilités, mais la réalité s’avère plus complexe; comme le soulignait Ovide Bastien dans Le Devoir du 3 juillet 2021, l’utilisation des pensionnats correspondait à la volonté politique du gouvernement fédéral, le premier responsable de la loi maudite qu’est la Loi sur les Indiens. Tenir les communautés religieuses comme seules responsables du drame des pensionnats s’avère une interprétation tordue et opportuniste de l’histoire.
En conclusion, je rappelle que le mode de fonctionnement des pensionnats pour les jeunes non-Autochtones de la même époque ne différait pas beaucoup dans leurs pratiques que ceux destinés aux Autochtones. La grande différence est que les jeunes non-Autochtones étaient souvent issus de familles aisées et entraient librement au pensionnat. Dans tous les pensionnats, peu importe les catégories de pensionnaires, il y a eu des abus (parole d’ancien pensionnaire).
En tout état de cause, une enquête approfondie s’impose pour faire toute la lumière sur la mort des enfants dans les pensionnats autochtones.
Église catholique : pas d’enquête.
[1] https://www.omiworld.org/fr/notre-mission/evangelizing-the-poor/
[2] Ménard, Bernard, OMI. INFO OMI, 15 juin 2021
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