Sélectionner une page

Blogue

J’accuse…

par André Jacob

Travailleur social et sociologue, professeur retraité de l'École de travail social de l'Université du Québec à Montréal. Tout au long de ma carrière universitaire, j'ai mené une carrière artistique, tout particulièrement en arts visuels.

13 mai 2025

Cette tristesse qui passe tel un brouillard dans les yeux de tous les enfants.[1]

Madeleine Gagnon

Publié dans Presse-toi à gauche, le 13 mai 2024 :

https://www.pressegauche.org/J-accuse

Ce 11 mai, jour de la fête des Mères, à Gaza, une maman garde les yeux fixés vers le ciel au cas où une goutte d’eau pourrait tomber pour calmer sa langue sèche et tremblante, incapable de prononcer un seul mot. Une jeune femme serpente entre les gravats au cas où un figuier magique sortirait du sol pour nourrir son bébé affamé parce que son sein ne peut plus le nourrir. Une autre scrute l’horizon pour tenter de détecter un camion ou un bateau porteur d’un morceau de pain qui pourrait diminuer les affres de la faim de sa famille.  Qui peut hurler à leur place pour qu’elles se fassent entendre d’un monde veule et insouciant qui ne veut plus écouter les échos dramatiques des cris du monde. Pourtant, l’Histoire nous enseigne que le silence tue.

Depuis longtemps, des gens prennent la plume pour dénoncer les injustices et les ignominies générées par les armes. Le 13 janvier 1898, l’écrivain Émile Zola publiait son manifeste personnel, J’accuse, dans le journal l’Aurore pour dénoncer la vilenie des témoignages truqués qui avaient fait condamner Alfred Dreyfus, officier d’état-major français d’origine alsacienne et de confession juive, faussement accusé d’avoir trahi la France et d’avoir collaboré avec les Allemands. Zola a pris sur lui de faire éclater la vérité. Aujourd’hui, considérant le sacrifice humain de la population de Gaza soumise à la faim et à la soif et luttant pour déjouer la mort et l’exclusion radicale en raison de la violence guerrière américano-israélienne, le J’accuse s’impose à nouveau, plus que jamais.

La planète entière regarde les débordements de la démence guerrière et de la tyrannie d’une armée américano-israélienne vouée à la destruction humaine et matérielle de Gaza. Devant cet état de fait, dans Le Devoir du 8 mai, Émilie Nicolas pose la bonne question : « La question qui se pose à nos élus, comme à toute la communauté internationale, c’est : pourquoi laisse-t-on faire ? »

Alors que l’on souligne la fin de la guerre 1939-1945 et la fin des camps de concentration et d’extermination des Juifs et de milliers d’autres personnes jugées indésirables (Roms, communistes, artistes et intellectuels.elles dissidents de la doxa nazie, etc.), on semble avoir oublié les leçons de l’Holocauste. Les victimes gazées et brûlées dans les fours crématoires seraient-elles mortes en vain? De leur côté, les survivant.e.s de ce drame humain ont clamé sur tous les tons depuis des décennies que toutes les tentatives d’extermination d’un peuple sont inacceptables, ignobles,  condamnables et contraires au respect des droits fondamentaux en mesure de favoriser un vivre-ensemble en paix. Bien sûr, le vécu dans les camps de concentration et celui des Gazouis n’est pas de même nature, mais les similitudes de sens et les conséquences qui en découlent à plus ou moins long terme relèvent d’une volonté d’extermination parente. Malgré l’immoralité apprise de la barbarie nazie, la guerre américano-israélienne impitoyable et d’une violence démesurée contre les habitants de Gaza, que l’on justifie en raison de la bêtise des dirigeants politiques du Hamas qui ont orchestré une attaque insensée et funeste de civils israéliens en octobre 2023, reste condamnable et contraire au respect des droits fondamentaux de la personne.

Après la 2e Guerre mondiale, plusieurs personnes ont plaidé l’ignorance des camps de la mort pour justifier leur silence, mais aujourd’hui, personne ne peut ignorer l’utilisation d’une force létale disproportionnée à Gaza. Le silence devient injustifiable.

J’accuse les puissances militaires américaines et israéliennes et leurs alliés de trahir la mémoire des victimes des camps d’extermination nazis.

J’accuse les dirigeants américains et israéliens de planifier la mort lente des habitants palestiniens de Gaza… et la Cisjordanie colonisée par la force.

J’accuse l’État israélien d’utiliser les privations de nourriture, d’eau et de soins de première nécessité comme arme de guerre, ce en acceptant la violation du droit des populations civiles à la protection.

J’accuse les dirigeants politiques occidentaux de faire montre d’hypocrisie en gardant un silence complice en observant les atrocités commises à Gaza.

J’accuse le gouvernement canadien et ses complices, les fabricants d’armes, de rester silencieux devant le massacre des Gazaouis.

J’accuse le gouvernement canadien de maintenir abusivement la position, maintenant intenable, du droit d’Israël à se défendre, car, maintenant, Israël se définit comme une force d’extermination et d’occupation, pas de défense.

J’accuse le gouvernement canadien de suivre aveuglément la politique américaine de soutien inconditionnel à Israël dans sa stratégie de colonisation et de destruction de tous les territoires palestiniens.

J’accuse les dirigeants des pays membres de l’OTAN, dont le Canada, toujours prompts à adopter des sanctions contre des pays jugés ennemis, de rester les bras croisés devant le désarroi du peuple palestinien, debout, les bras tendus vers le ciel pour implorer en vain le respect.

J’accuse les dirigeants des pays membres de l’OTAN, dont le Canada, à promouvoir la construction perpétuelle d’un ennemi, la préparation de la guerre par la sacralisation de l’augmentation scandaleuse des budgets militaires au détriment d’un développement social et économique durable et pacifique.

J’accuse les acteurs politiques, agenouillés, en adoration, devant les dogmes des lois du marché d’un capitalisme libertarien délétère, d’agir avec duplicité en justifiant leur hypocrisie et leurs singeries par des discours truffés de faux-semblants pour dire tout simplement qu’on ne veut pas entendre les clameurs lointaines des Palestiniens, pas plus que celles des peuples soumis aux diktats des armes.

Comme l’écrivait Amélie Nicolas, dans Le Devoir du 8 mai, en référant au récit de Primo Levi, Si c’est un homme, récit de survivant d’Auschwitz : « Comprend-on que la honte, la tache sur l’âme, les silences, les tabous peuvent aussi rejaillir — non, vont nécessairement rejaillir — et altérer la boussole morale de l’humanité entière pour des générations si on laisse faire ? On le sait pourtant très bien déjà : même 80 ans plus tard, les mots de Levi ont toujours le pouvoir de nous faire frémir. »

Peut-on apprendre à bâtir un monde en paix et juste en relisant les leçons de l’histoire des guerres, et particulièrement celle de la Shoah? Pouvons-nous ne pas nous laisser endormir collectivement par les remous de la désinformation et de l’indolence face à la lente et brutale extermination du peuple palestinien.

Ça suffit! Enough is enough! Basta! Que l’écho reprenne mon appel pour la paix, contre le désespoir


[1] Gagnon, Madeleine (2000). Les femmes et la guerre. Montréal, VLB éditeur, p.65.

Vous pourriez aussi aimer…

Abonnez-vous pour ne rien manquer !

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *