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Haroun Bouazzi : doit-on le punir sur la place publique?

par André Jacob

Travailleur social et sociologue, professeur retraité de l'École de travail social de l'Université du Québec à Montréal. Tout au long de ma carrière universitaire, j'ai mené une carrière artistique, tout particulièrement en arts visuels.

18 novembre 2024

ANDRÉ JACOB, professeur retraité de l’UQAM et ex-coordonnateur de l’Observatoire international sur le racisme et les discriminations.

https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/823879/libre-opinion-doit-on-punir-haroun-bouazzi-place-publique

Considérant la réaction populaire et les commentaires dans différentes chroniques, Haroun Bouazzi mérite une bonne correction. Ses propos ne passent pas. Certaines personnes aimeraient le pendre haut et court pour que cela serve d’exemple au bon peuple.

En jugeant que l’Assemblée nationale tient des positions racistes, le député de Québec solidaire a utilisé une généralisation outrancière pour justifier son propos. Il s’agit d’un mépris de l’institution et d’une déformation de positions politiques, lesquelles, par ailleurs, méritent un questionnement critique rigoureux. D’une certaine façon, il a utilisé une stratégie de communication semblable à celle qu’il critique : la généralisation imprudente. Ses mots lui attirent des tirs rangés : « C’est du communautarisme, du multiculturalisme, de fausses accusations de racisme, etc. » S’il pensait faire oeuvre de pédagogie sur l’immigration, ses positions mal explicitées lui ont fait rater le coche.

Dans une conjoncture mondiale anti-immigration (particulièrement exacerbée au cours de la campagne électorale de Donald Trump), qui répète que l’immigration constitue un problème fondamental de la société, le débat sur les discours du député solidaire a été pollué par de multiples exagérations. On ne peut nier que, depuis plusieurs mois, le discours de la Coalition avenir Québec a véhiculé abondamment l’idée qu’un trop grand nombre d’étrangers sur le territoire du Québec serait la cause de la plupart des difficultés des services gouvernementaux ; recourir à une telle argumentation générale et vaseuse, sans fournir d’explications précises et rigoureuses, s’est avéré une stratégie de communication risquée ; en réalité, il s’agissait d’inciter le public récepteur, l’opinion publique, à se forger une perception conforme aux intentions et aux intérêts politiques et électoralistes des promoteurs, à savoir la responsabilité principale des étrangers de tous les maux des services publics.

Dans les faits, beaucoup de gens adhèrent à ces explications générales payantes pour les politiciens ; cela permet, d’une part, de détourner le regard des vrais problèmes sociaux et économiques et, d’autre part, de désigner les étrangers, pris comme une masse informe, comme des boucs émissaires. Comme le dirait Jürgen Habermas, théoricien de la communication, il s’agirait d’une dynamique de l’agir communicationnel parce que le langage utilisé révèle l’intentionnalité des porteurs du discours.

Dans ce cas-ci, on ne renvoie pas au racisme au sens strict, mais à la xénophobie ; il s’agit d’une forme de substrat idéologique qui forge les stéréotypes et les préjugés à l’égard des citoyens et citoyennes porteurs de caractéristiques différentes de celles de la majorité, d’une manière consciente ou non. Quoi qu’il en soit, un tel discours porte les conditions propices au renforcement de la xénophobie, sorte de colonisation des esprits qui conduit à des pratiques d’exclusion ou de discrimination de l’Autre, porteur de trop de différences en opposition à l’identité de la masse, qui estime avoir plus de droits d’appartenance sur le territoire que l’Autre, toujours perçu comme étranger.

 En conclusion, même si personne ne semble vouloir approfondir le sens caché des arguments mal choisis et mal interprétés d’Haroun Bouazzi, la réalité s’impose : les perceptions négatives de l’immigration ont déjà pris racine et se diffusent dans tous les milieux. Refuser de voir cette réalité et d’en discuter représente un déni digne d’une ignorance crasse du phénomène de la nature de la xénophobie. À l’inverse, on refuse de voir l’importance de parler plus d’intégration que d’exclusion.

L’intégration des immigrants, peu importe leur statut, exige un soutien continu de l’État. Les gens quittent leur pays pour vivre au Québec et développer leurs capacités à participer pleinement à la vie sociale, économique, politique et culturelle au développement de la société… avec leurs différences. S’intégrer, c’est participer. Ils s’attendent à recevoir des messages clairs, sans contenu d’exclusion, pour qu’ils intègrent l’idée qu’ils ne sont pas un problème pour la société, mais une force dynamique du développement. L’intégration correspond à leur capacité à participer. Vivre ensemble exige donc de tenter de comprendre les discours de tous les horizons.

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